lundi 6 février 2017

Quelle conduite de changement pour quel type d'entreprise - l'entreprise matricielle (4/6)

Benoît ROUX, gérant du cabinet Savoie Conseils et Solutions , spécialiste en organisation et conduite du changement, nous dévoile les points de vigilance  à prendre en compte si l'on veut maîtriser la transformation d'une entreprise matricielle.

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Concernant l’entreprise matricielle ou l’entreprise projet, quelles sont les situations à surveiller lors de la conduite d’un changement ?

B.R. :Je constate que les entreprises qui lancent beaucoup de projets ont parfois des projets un peu contradictoires. C’est une tendance actuelle ou tout est projet. Sous prétexte d’agilité, d’opportunité, de flexibilité, les projets sont multipliés, de nombreuses équipes projet sont constituées dans des domaines variés, avec parfois une personne active ou souhaitée telle sur 3 ou 4 projets en même temps.

Il existe des sociétés avec des équipes projet qui fonctionnent un peu dans leur bulle, en autarcie, ou il semble qu’on se fait son petit projet entre soi pour se faire plaisir, ou l’on se recrée son petit monde.

Lorsque plusieurs projets de cette sorte fleurissent dans ces entreprises, il y a inévitablement des projets qui se télescopent. Par exemple une entité A déploie un projet hyper ambitieux de développement commercial avec une équipe projet dédiée, des consultants externes, et 3 mois après l’entité B lance un programme d’économie et de réduction des effectifs dans l’administration des ventes. Qui dans l’entreprise comprend la logique et la cohérence de ces deux projets ?

Il est d’ailleurs intéressant de noter que souvent dans ces cas concrets on peut observer des comportements extrêmes, avec une forme de jusqu’au-boutisme. Coûte que coûte il faut faire avancer son propre projet, il faut se dépêcher, quitte à générer des conflits dans l’allocation des ressources, car il faut à tout prix attirer les meilleures compétences sur son projet…

Cette multiplication des projets conduit aussi à travailler beaucoup dans la phase de conception, mais à négliger la phase de mise en œuvre et de réalisation, parce que justement le projet est plutôt intéressant en terme de réflexion, intellectuellement c’est passionnant, mais la mise en place, alors ça c’est beaucoup moins important.

L'entreprise matricielle, le changement permanent en mode survie

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Lors de ces projets de grande envergure lancés sur différents domaines, je remarque que l’adaptabilité d’une personne à un changement n’est pas infinie. Il est illusoire de penser qu’une personne peut reconstituer son stock d’adhésion au changement quasi instantanément… Souvent la personne a à peine fini de digérer un premier changement qu’il en vient un second. Je pense qu’il est nécessaire à un moment de laisser du temps au temps, d’accorder une pause dans la transition des personnes et des équipes.

Je vais illustrer mon propos par un exemple vécu. Je me souviens d’un projet ou il était question d’équiper des commerciaux d’une solution de prise de commande mobile. Auparavant la prise de commande était faite par un opérateur qui saisissait les informations dans le système central, soit depuis une commande papier soit via un appel téléphonique du commercial.

Donc un projet est lancé avec les commerciaux. Entre les moyens matériels, les besoins de formation et le coût de la maintenance des équipements, c’est un grand projet. Lorsque les 400 commerciaux sont équipés, formés et autonomes, le projet est clos.

Dès le début du projet, un certain nombre d’avantages ont été répertoriés. Ont aussi été mis en avant que ce nouveau mode de prise de commande doit générer de nouvelles opportunités. C’est à dire changer la façon dont le commercial présente les promotions clients, comment il s’assure de la disponibilité du produit en stock, etc. On attend donc du projet qu’il induise de nouveaux comportements.

Mais changer un comportement, cela prend du temps. Or avant même que les nouvelles habitudes s’installent, des voix s’élèvent déjà pour dire que tous les bénéfices attendus ne sont pas réalisés. Très vite on constate que « c’est vrai, on a équipé les commerciaux d’ordinateurs portables, c’est probablement un peu dépassé aujourd’hui, il faut qu’on change de produits… pourquoi pas des tablettes ». Et puis encore plus tard, on conclut en disant « tout compte fait, tout cela ne nous a pas fait gagner grand-chose... ». Je pense qu’on n’a pas laissé le temps au temps...

Autre exemple significatif de la difficulté à changer véritablement. Il y a dans ce même projet un commercial qui a été formé, un peu difficilement certes, mais qui a reçu une formation comme les autres. En regardant les fichiers d’entrée dans le logiciel de commande, on s’aperçoit que ce commercial envoie toujours ses commandes le soir vers 21h30 alors qu’un des objectifs du projet est justement de favoriser la prise de commande au fil de l’eau.

L’information remonte jusqu’au responsable du commercial qui confirme que des rappels lui ont été adressés pour qu’il saisisse ses commandes lorsqu’il les conclut. Néanmoins, il continue d’envoyer ses commandes tous les soirs à 21h30.

Voici le fin mot de l’histoire. Lorsqu’il est en clientèle, ce commercial dispose bien de son ordinateur portable, mais il continue de prendre ses commandes à la main, et le soir…il donne ses commandes papier à sa femme pour qu’elle les saisisse dans le logiciel ! Double peine pour Madame qui a d’abord dû dompter l’ordinateur portable avant d’apprivoiser la tablette !

Le changement comme une évolution permanente est un leurre. C’est une hypothèse dans laquelle sont enfermées aujourd’hui les organisations. Chaque personne ne vit pas le changement comme une évolution, mais comme des phases assez marquées de transition. Entretenir ce mythe que l’entreprise de demain doit être une entreprise en évolution permanente, une entreprise qui se nourrit du changement permanent, cela me semble illusoire. En tout cas pour les collaborateurs d’une telle entreprise c’est synonyme de stress permanent, de burn-out, etc.

Ce changement permanent est quand même souvent présenté comme seul gage de survie pour l’entreprise …

B.R. :Je ne crois pas. De mon point de vue, une entreprise doit faire périodiquement un point, constater sur quels aspects elle a bâti son succès, son histoire, sa réussite, et se fixer de nouveaux objectifs a moyen et long terme pour développer tel nouveau produit ou service, ou devenir ce qu’elle imagine. Ce processus est pour moi la marque d’une rupture, d’une réorientation. Et c’est différent d’une évolution constante.

entreprise-projet-stress-burnoutL'entreprise matricielle, stress et burn-out autour des projets

Il est clair que les entreprises doivent s’adapter à leur environnement. Si demain le travail des collaborateurs d’une entreprise est de s’assurer qu’on satisfait toujours les besoins des clients alors qu’on ne les connaît même pas encore -c’est quand même un peu la tendance actuelle- cette notion d’adaptation permanente va générer beaucoup de stress et engendrer des difficultés sur les équipes. Et une équipe continuellement sous stress est moins efficace.

Ce changement permanent a quand même tendance à engendrer des tensions. Cette impression de ne jamais finir son projet, de ne jamais capitaliser, de ne pas tirer les bénéfices de ce qui a été fait. Il y a beaucoup d’équipes qui sont sous stress. Le domaine roi du burn-out c’est bien l’équipe projet. Quel chef de projet n’a pas vécu une dépression post-projet ? Quand on mène à bout de bras un projet qui dure un, deux ou trois ans, et que sitôt fini sitôt réaffecté sur un autre projet, c’est dur.

Aujourd’hui il semble que l’escalier soit sans fin. Il n’y a plus de palier. Avant il y avait un temps de maturation et un temps de digestion du changement. Aujourd’hui il n’y en a plus. Pourtant les gens en ont besoin. Physiologiquement.  
Découvrez les points de vigilance à surveiller en fonction du type d'entreprise:

Conglomerat          Grande Entreprise                                             PME          Petite Entreprise                                                                                                 Retour à l'introduction       


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